19 janvier 2010

Une question de logo ?

Pour trainer du spectateur en masse dans les salles de cinéma, il n'y a pas des milliards choses à écrire sur une affiche ou à dire dans une bande-annonce.

Première solution. Pas la plus fréquente mais à coup sûr la plus perverse : mentir. Ces derniers temps, c'est ce que tentent de faire à peu près tous les studios avec leurs produits surfant sur la vague "Les Chroniques d'Harry Potter à Narnia". Voyez par exemple, dans le meilleur des cas (à savoir une surprise positive à la clé), les studios Disney avec LE SECRET DE TERABITHIA qui ont fait croire à tout le monde à un MONDE DE NARNIA bis (avec tous les effets spéciaux, scènes de batailles, monstres et décors fantastiques que ça implique) pour au final délivrer un film plutôt très intimiste (et tragique) sur l'enfance.

Deuxième solution. La plus évidente mais pas forcément la plus facile. La critique. Une bonne accroche d'un grand quotidien/magazine respecté fait toujours son petit effet. En voyant en 4x3 "UN CHEF D'OEUVRE signé Le Monde", votre inconscient a déjà assimilé l'essentiel - même si vous ne lisez jamais le dit canard ! Les récompenses en tous genres vont dans le même sens. Sauf que tous les films ne peuvent se prévaloir de bonnes critiques et encore moins d'Oscars, César, Golden Globes, Palme d'Or etc.

Deuxième solution. Clairement la plus banale : "les noms connus". Vos stars, quoi ! Ça peut être un ou des acteurs (typiquement le Will Smith ou le Tom Cruise en gros en haut de l'affiche). Ça peut être un réalisateur (voir "AVATAR, par le réalisateur de TITANIC"). Ca peut être, plus rarement, un scénariste (voir "JENNIFER'S BODY, par la scénariste de JUNO"). Et en dernier recours, vous avez toujours le producteur (voir "OUTLANDER, par le producteur du SEIGNEUR DES ANNEAUX" pour citer un cas de vente vraiment "désespéré"). Dans tous les cas, le gus qui a envie de s'imprimer de la celluloïd sur la rétine se dit "tiens, je le connais lui. On a qu'à aller voir". On sait très bien que l'être humain n'aime rien tant que les terrains connus et hait plus que tout l'étranger, l'inconnu. En gros, le spectateur lambda se comporte avec les films comme un redneck consanguin avec un mec trop bronzé : il ne connaît pas donc il ne veut pas le voir.

Mais quand vous sortez une comédie romantique un peu cheap sans stars, ni réalisateur, ni scénariste connus, que vous ne pouvez ni mentir sur la marchandise ni évidemment vous reposer sur la qualité de votre film, comment faire ?

Il faut se démerder. Et c'est ce qu'ont fait les studios Disney avec leur dernier "produit" en date : la comédie romantique WHEN IN ROME. Petit état des lieux et arguments potentiels à mettre en avant. Les acteurs principaux, Kirsten Bell (de VERONICA MARS) et Josh Duhamel (de LAS VEGAS) sont issus de la télé et sont très loin d'être reconnus comme des stars "bankable". On oublie. Le réalisateur, Mark Steven Jonhson, est l'auteur des deux plus grosses bouses du cinéma de super-héros (GHOST RIDER et DAREDEVIL) et n'a, de surcroît, jamais réalisé de comédie romantique de sa vie. On oublie. Quant aux scénaristes, on leur doit les scripts de quelques comédies hollywoodiennes classiques (OLD DOGS, EVOLUTION, FAMILY MAN) qui ont toutes en commun d'avoir été des gros bides commerciaux et critiques. On oublie. Et inutile d'espérer de bonnes critiques et/ou quelques récompenses, on parle ici d'une comédie romantique made in Walt Disney ! Quant au mensonge, on oublie également, ce genre de produit étant tellement calibré depuis des décennies que les spectateurs savent très bien ce qu'ils vont voir et avoir avant même d'entrer en salle.

A quoi en sont alors venus les cadors du marketing des studios Disney ? Je cite : "FROM THE STUDIO THAT BROUGHT YOU THE PROPOSAL". Vous avez bien compris. Ici, l'argument de vente, c'est le studio Disney lui-même ! Sur le seul prétexte qu'il a "financé" la comédie romantique la plus populaire et rentable de ces derniers mois (LA PROPOSITION avec Sandra Bullock), il deviendrait une référence, une caution au même titre qu'un réalisateur ou un scénariste.

Sauf que vous vous déplaceriez, vous, pour aller voir le film du studio de LA PROPOSITION - même en ayant adoré ? Dis comme ça, sûrement pas. Tout simplement parce que, par définition, un studio de cinéma ne fait que financer les films, n'a "en principe" aucune implication artistique dessus. Ce serait comme acheter des jeans H&M sur le seul argument qu'ils sont fabriqués dans la même usine que ceux brandés Prada. Et évidemment, les studios Disney ne se sont soudainement pas spécialisés dans la comédie romantique. Ces dernières années, des films aussi différents que APOCALYPTO, BEVERLY HILLS CHIHUAHUA, CLONES, HIGH SCHOOL MUSICAL ou BANDE DE SAUVAGES sont sortis du monde merveilleux de Mickey. Et encore, c'est de Disney dont on parle. Il suffit de prendre 20th Century Fox, Universal, Paramount ou Warner pour trouver une encore plus grande diversité de films. Normal, c'est leur métier : satisfaire tous les publics, s'adresser à tout le monde, aux petits comme aux grands, aux femmes comme aux hommes etc.

Impossible donc d'aller voir un film sur ce simple argument. Sauf que... Les initiés savent qu'en fait, le logo qui apparaît en premier devant un film signifie beaucoup plus qu'il n'en a l'air. A commencer par ce que l'on appelle les "indépendants". Ces derniers, s'ils ne financent pas les films à proprement parlé, ils les achètent à leur producteur pour ensuite les distribuer et donc s'engagent sur un certain niveau de qualité. Voyez la branche indé de la Fox, Fox Searchlight. Comme toutes les autres, elles possèdent une véritable ligne éditoriale qui vous assurent, à vous spectateur, la garantie d'un cahier des charges à peu près respecté. Le résultat sur les dernières années se nomment ainsi LITTLE MISS SUNSHINE, JUNO, LE DERNIER ROI D'ECOSSE, THE WRESTLER, 500 DAYS OF SUMMER, SLUMDOG MILLIONNAIRE, WAITRESS, BLISS et plein d'autres. Personnellement, je vais voir un film sur le seul nom Fox Searchlight et je suis très rarement déçu, très très rarement !

Mais cela s'applique aussi, dans une moindre mesure, aux cinq grands studios hollywoodiens que j'ai cité plus haut. Il y a à leur tête ce qu'on appelle un directeur de la production, dont le job consiste en gros à dire oui ou non à tel ou tel projet et à en donner l'impulsion en terme de budget et de moyens etc. Comme on dit dans le jargon, il "greenlight" les films, il donne son feu vert. Si l'on prend l'exemple de la 20th Century Fox, c'est un dénommé Tom Rothman qui la dirige depuis l'an 2000. Et ce serait un euphémisme de dire qu'il n'est pas du tout aimé des cinéphiles et geeks en tous genres. L'homme est en effet "responsable" de désastres "artistiques" tels que X-MEN 3, WOLVERINE, LES 4 FANTASTIQUES, BABYLON A.D, ALIEN VS. PREDATOR ou DIE HARD 4. Bref, c'est sous son impulsion que la 20th Century Fox est devenu un studio très peu "fiable" pour tout ce qui concerne les films dit "de genre" - alors que Paramount, par exemple, livre coup sur coup des réussites aussi éclatantes que IRON MAN, WATCHMEN et STAR TREK. Clairement, depuis quelques années, vous pouvez avoir un doute lorsque vous allez voir un film "de genre" avec un logo 20th Century Fox devant. (Et là, je ne suis pas en train de me faire des amis parmi mes amis, anciens collègues...)

A contrario, il suffit de jeter un coup d'oeil à "l'avant Rothman". Entre 1996 et 2000, c'est un certain Bill Mechanic qui est à la tête du studio. Et c'était une toute autre affaire. Businessman averti mais amoureux du cinéma et des auteurs, c'est en grande partie grâce à lui que la Fox est devenu, ces années là, un des plus beaux "labels" d'Hollywood avec des films comme ROMEO+JULIETTE, LA LIGNE ROUGE, MARY A TOUT PRIX, X-MEN, TITANIC ou FIGHT CLUB (qui lui a valu de perdre sa place). Tous sont des films très différents. Beaucoup d'autres sont loin de la qualité de ces derniers. Mais clairement, le studio avait, à cette époque, une sorte de "magic touch" et on pouvait se dire raisonnablement que si ça sortait des "usines Fox", ça pouvait vraiment valoir le coup d'oeil... De la même manière que je peux me dire aujourd'hui que si ça sort des "usines Paramount", ça peut valoir le coup d'oeil (voir mon TOP 20 de 2009 qui en compte quatre).

Tout ça pour dire que, oui, vous pouvez vous faire une idée d'un film sur le seul nom du studio qui l'a produit et financé. Avec un peu de jugeote, de connaissances cinéphiles et pop, vous pouvez. Mais tout ça est évidemment bien relatif. Il suffit de regarder parmi les quelques nouveautés à venir en 2010 pour se convaincre qu'on est pas à une absurdité près : Newmarket Films, le sulfureux distributeur indépendant qui fit de LA PASSION DU CHRIST un succès en s'adressant en priorité aux chrétiens fondamentalistes américains, s'apprête en effet à sortir le film CREATION, une biographie de... Charles Darwin, le père de la théorie de l'évolution !

Quant à la question de savoir si vous aimerez WHEN IN ROME en ayant aimé LA PROPOSITION, je crois que j'ai répondu plusieurs paragraphes au-dessus : ce genre de produits est tellement formaté et calibré que, oui, il y a de grandes chances que vous aimiez... Mais ça n'a rien à voir avec LE STUDIO qui l'a financé !


9 commentaires:

  1. Moi par contre, j'irais totalement voir un film dont le slogan serait "AVEC LE CHIEN DE THE PROPOSAL" ;-)

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  2. Quand j'ai lu les premiers paragraphes de ton post, je me suis dit "Tiens il faudrait qu'il ajoute comme solution "Parle studio qui vous a offert..."" lol
    Le coup de "From the studio that brought you..." avait déjà été pondu par le passé. Je me souviens notamment... je crois que c'était "Madagascar" qui était vendu par "From the studio that brought you Shrek", en l'occurence Dreamworks donc.

    C'est vrai qu'il est loin le temps où la Fox mettait plusieurs dizaines de millions de dollars dans "La ligne rouge" ou "Fight Club"...

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  3. @ David : pour les studios d'animation, c'est un peu particulier parce que quelque part leur principe même d'existence est d'avoir une ligne éditoriale avec toujours la même cible marketing. Donc quelque part, c'est moins choquant et plus justifié quand tu lis "By the studio that brought you Madagascar ou Ice Age ou Wall-E" Tu sais que c'est les mêmes personnes (à peu près) qui iront voir Nemo et Wall-E, Ice Age et Robots ou Madagascar et Shrek.

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  4. C'est ce que je pensais aussi avant, mais finalement je considère que c'est presque la même chose. En fin de compte. On te vend un genre, d'un même studio, à une même cible potentielle. L'animation Dreamworks d'un côté, la comérie romantique Disney de l'autre. On a tendance à caser l'animation à part, mais vraiment la démarche est la même, quand même ^_^

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  5. @ David : Mais la comédie romantique, tout le monde en fait et peu importe qu'elle sorte de Disney, Universal, Fox ou Paramount, ce sera toujours à peu près la même chose d'un gros studio à l'autre. On ne peut pas parler de "comédie romantique Disney". Alors que l'on peut clairement parler de "film d'animation Pixar" ou "film d'animation Dreamworks". Il y a une style inimitable et un savoir-faire bien spécifique derrière ces phrases toute faites.

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  6. Bien sûr, mais fondamentalement, c'est le même type de mensonge.
    Quant à Pixar, il ne peut être comparer à aucun autre studio ou branche de studio contemporain^^

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  7. Très intéressant cet article.

    J'imagine que le cas de la fille amère qui a pour talon d'achille les comédies romantiques en quantité industrielle est justement l'élement qui paye les vacances des familles des employés de Disney. Sans avoir besoin qu'on l'appate avec une accroche pérave type "PAR LES PRENEURS DE SON DE 2012".

    Sigh.

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  8. Oooh ! Perso, je me précipiterais voir une comédie romantique par les preneurs de son de 2012 ! ;-)

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  9. J' irai pas voir When in Rome mais je serai bien aller voir Veronica Mars au cinéma..eh oui le business formaté régit le monde pas la creativité artistique !
    Trés bon papier, triste constat mais pertinent.

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