07 février 2011

Charlie Sheen ou le Dernier des Dégénérés

Cette dernière décennie, la presse people a tenté de nous faire croire, à coup de unes fracassantes sur la cellulite de Britney Spears, le gras du bide de Gerard Butler et l'acné de Cameron Diaz, que les stars étaient comme nous. Bien aidée par la télé réalité, les tabloids se sont entêtés à démontrer que oui, les stars font caca, que oui, les stars font des régimes à la con et ont la peau grasse et le cheveux sec, que oui, les stars portent des joggings sans formes pour aller acheter leur café Starbucks moisi au coin de la rue. En gros, le message est clair : la seule différence entre vous et la star, c'est les mecs gras du bide qui prennent des photos de vous quand vous osez mettre le pied dehors.

Une petite différence. Pas tant que ça. Dans la vie de tous les jours, ça ne change rien. Metro. Boulot. Dodo. C'est aussi le lot de la star qui tourne et donc travaille. Certes, elle n'est pas assise derrière un bureau mais la logique est sensiblement la même. La nuit arrivant, c'est une autre affaire. A priori, le soir où vous sortez vous mettre une mine, personne n'est là pour immortaliser l'évènement et le publier le lendemain dans la presse mondiale - à moins d'avoir des copines perverses, toute acquise à la cause de Mark Zuckerberg et donc peu soucieuses de la vie privée, qui balanceront les photos compromettantes sur un Facebook ouvert au monde. La différence de taille entre vous et la star est là : la star, elle, doit être irréprochable moralement.

Si vous prenez les cadors du box-office de ces dix dernières années, que voyez-vous ? Brad Pitt et Angelina Jolie, en couple depuis cinq ans et heureux parents de six enfants (dont trois adoptés). Matt Damon, marié depuis cinq ans et père de trois enfants. Hugh Jackman, marié depuis quatorze ans et père de deux enfants adoptés. Idem pour Will Smith, marié depuis treize ans et père de deux enfants. Quant à George Clooney ou Leonardo Di Caprio, ils ont beau être des célibataires endurcis, ils compensent largement en militantisme politique et social ce qu'ils perdent en stabilité conjugale. Même Johnny Depp qui a passé les années 90 a ruiné les chambres d'hôtels du monde entier n'a jamais eu autant de succès que ces dix dernières années passées à faire le mari aimant et le papa-poule. Bref, la star des années 2000 a été chez les scouts et c'est ce genre de stars que le public veut voir sur grand et petit écran.

Le sensationnalisme de la vie orgiaque hollywoodienne, la drogue, les putes, les partouses, l'alcool, tout ça, le public accepte, s'en délecte même (les années 2010, sous l'influence des blogs et Twitter, marquent clairement un retour à ce type d'infos people - après l'acné, le gras du bide et la cellulite de la décennie précédente). Mais le public refuse que ça transpire sur l'écran. Il veut, d'un côté, ses stars proprette, ses héros aux dents blanches pour rêver au ciné et, de l'autre, ses "stars" déglingués aux dents pourris pour se moquer chez Perez Hilton. Mais les deux mondes ne doivent pas se croiser. "Le Nouvel Hollywood" de Dennis Hopper, Peter Fonda, Jack Nicholson est loin...

Le monde ne veut plus voir sur ses écrans les pervers, les détraqués, les drogués, les rebelles, les voleurs, les alcooliques qui peuplaient "notoirement" autrefois le monde merveilleux des stars mondiales. A cause de ses rehabs et autres frasques, Lindsay Lohan est tellement chère à assurer que les producteurs refusent de l'engager. Winona Ryder, arrêtée en 2001, pour vol à l'étalage, a mis presque dix ans à retrouver un rôle dans une production hollywoodienne (10 minutes dans STAR TREK !). Durant la première partie de la décennie, Robert Downey Jr a passé plus de temps en prison ou en cure de désintox que dans des films à succès. Même Tom Cruise, l'incarnation de la méga-star des années 80 et 90, a été destitué de son piédestal aussi vite qu'il lui en aura fallu pour sauter sur un canapé. Pensez également Meg Ryan, la petite fiancée de l'Amérique des années 90 qui n'a jamais retrouvé grâce aux yeux du public après avoir soudainement quitté Dennis Quaid, son mari de neuf ans, pour une aventure de tournage avec Russell Crowe en 2000.

Et il y a Mel Gibson. Après son "à peine dissimulé" film antisémite de 2005, il avait échappé de peu au lynchage public grâce au succès du box-office. La méga star des années 80 avait même survécu aux diverses arrestations pour conduite en état d'ivresse et autres commentaires racistes et homophobes qui lui ont été attribués depuis le début de sa carrière. Mais les coups de téléphone enregistrés à son insu et divulgués sur Internet en juillet 2010 lui ont été définitivement fatals. Ils sont d'une telle violence que, cette fois, la star ne peut pas échapper à l’opprobre public par des excuses et un communiqué de sa publiciste. Même de la part de "Mad Mel", entendre de ses propres oreilles sa star préférée dire à une femme des trucs comme "When you go out in public and it's a fucking embarrassment to me. You look like a fucking bitch on heat. And if you get raped by a pack of niggers it'll be your fault, all right?", ça ne peut plus passer...

Ouvert d'esprit ou non. Au premier comme au quatrième degré, vous ne pouvez plus différencier le héros de l'acteur et, à raison, ce qui devait arriver, arriva. Il a niqué sa carrière. Plus personne ne veut l'engager. Même pour un ARME FATALE 5, depuis longtemps dans les cartons qui aurait rempli à coup sûr les salles, la Warner Bros. ne veut plus entendre parler de Mel Gibson. Résultat : au lieu d'une suite, L'ARME FATALE 5 sera un reboot - avec des petits jeunes. De la même façon, vous en connaissez, vous, des acteurs qui se se sont vus refuser un caméo dans un film parce que le reste du casting a activement milité contre sa présence sur le tournage. Non. Ca n'existe pas. C'est pourtant ce qui est arrivé à Mel Gibson sur THE HANGOVER 2.

Et Charlie Sheen se pointa au bal...

Depuis près de 20 ans, Charlie Sheen pourrait monopoliser dix personnes de la Brigade des Moeurs sur son seul cas. En 1990, il tire une balle dans le bras de sa fiancée, Kelly Preston, après qu'elle ait rompu avec lui. En 1995, il est cité comme un des principaux clients de la maquerelle d'Hollywood, Heidi Fleiss, lors de son procès. A la fin des années 90, il compte parmi ses petites amies "officielles" deux stars du porno (Ginger Lynn et Heather Hunter). En 1998, il fait une overdose de cocaïne et est envoyé en désintox après avoir violé sa conditionnelle. En 2005, il est accusé par son épouse, Denise Richards, d'abuser de la cocaïne et de l'alcool et de la battre alors qu'elle était enceinte. Bis repetita avec sa femme suivante, Brooke Mueller, cette fois, avec une arme à feu. En 2006, il se revendique membre du 9/11 Truth Movement qui milite pour qu'une enquête soit ouverte sur la "véritable" cause de l'effondrement du World Trade Center. Et faut-il mentionner l'actrice porno, Capri Anderson, retrouvée sanglotante dans la salle de bain d'une chambre d’hôtel newyorkaise complètement détruite après une nuit de débauche à la cocaïne et à l'alcool ? Tout ça nous menant aux évènements de ces derniers jours : une première nuit de débauche avec l'actrice porno Bree Olson à Las Vegas, suivi, quelques jours plus tard par une autre nuit du même type, cette fois, avec l'actrice porno Kacey Jordan. Dernière nuit qui se termina aux urgences, Sheen, 45 ans, se retrouvant bloqué du dos, avec une hernie.

Avec un CV pareil, dans le Hollywood de Will Smith, Charlie Sheen devrait être, au choix, en train de faire la plonge dans un restaurant mexicain (après tout, son vrai nom est Carlos Estevez), en desintox prolongée à l’hôpital public, en train de pousser un chariot dans Skid Row ou mort. Mais non. Charlie Sheen est l'acteur le mieux payé de la télévision américaine : 1,8 million de dollars par épisodes de MON ONCLE CHARLIE, la série comique la plus regardée de la télé US (15 millions de spectateurs chaque lundi). Ça fait 8 ans que ça dure. Mais cette fois, si la Warner accepte volontiers de se séparer de Mel Gibson pour L'ARME FATALE 5, elle n'a pas du tout l'intention d'en faire de même pour Charlie Sheen. Selon The Holywood Reporter, ce coup d'éclat pourrait leur coûter 250 millions de dollars. Mais non. Charlie Sheen passera trois mois en rehab forcée et devrait retrouver son job après. Comme si de rien n'était.

Qu'est-ce que cela veut dire ? Qu'il a des dossiers sur les boss de Warner ? Que la boss de Warner a un vieux fantasme remontant à l'adolescence concernant son rôle court mais mémorable dans LA FOLLE JOURNEE DE FERRIS BUELLER ? Que le succès de la série est tel que la Warner perdrait plus d'argent à abandonner la série (ou à remplacer son acteur principal) qu'à l'arrêter quelques mois pour la reprendre comme si de rien n'était ? A n'en pas douter. Mais ce serait trop simple. La raison la plus profonde de l'exceptionnel maintien de Charlie Sheen dans le show-business n'est pas à trouver que dans le portefeuille des riches et puissants d'Hollywood. Il est aussi dans le coeur des gens. Ou plutôt dans leur couille.

Inutile de se leurrer : Charlie Sheen assouvit les fantasmes d'un paquet de mec. De gens comme lui, Hollywood en fait des héros de cinéma. Voyez THE HANGOVER (tiens, justement). Des mecs comme tout le monde qui font des fêtes tellement mémorables qu'elles valent le coup d'être raconter dans des films. Des mecs comme tout le monde qui se tapent de stars du porno. Des mecs comme tout le monde qui profitent de la vie à fond sans se soucier des conséquences, sans se soucier de responsabilités, d'enfants, de boulot, de mariage etc. Dans un monde contrôlé par la morale du mariage sage et de la famille nombreuse (Brangelina et tous les exemples cités plus haut), un mec comme Charlie Sheen est une soupape et surtout un modèle pour un bon nombre de gens car son goût pour les stars du porno, la baise, l'alcool et la fête n'apparaît pas au plus grand nombre comme un mal-être profond (Lindsay Lohan) ou comme une folie malsaine (Mel Gibson) mais comme un simple plaisir hédoniste.

Mais le public de Charlie Sheen n'ait pas fait que de mecs frustrés compensant leur manque affectif par le porno et les fantasmes d'orgie dans des palaces des Las Vegas...

Dans une récente interview à The Hollywood Reporter, Chuck Lorre, le créateur de MON ONCLE CHARLIE, raconte que "le concept original de la série était de montrer l'influence positive d'un enfant sur un dégénéré", poursuivant sur "et pour je-ne-sais-quelle raison, le nom de Charlie Sheen m'ait venu à l'esprit." Voici le véritable postulat de départ de l'état de grâce de l'acteur auprès du public. Contrairement à Mel Gibson dont la "dégénérescence" s'écoute à portée de clic avec un réalisme cru digne du documentaire le plus glauque, Charlie Sheen l'expose hebdomadairement sur le petit écran avec humour, décontraction et second degré. Charlie Harper, le compositeur de musiques publicitaires alcoolique et accroc au sexe, pour 15 millions de téléspectateurs par semaine, est Charlie Sheen. Et inversement. Le fait qu'ils aient le même prénom n'est pas un hasard ! Chuck Lorre l'avoue lui-même à demi-mot. Et donc, le concept même de la série, cette fameuse "influence positive sur un enfant" ne fait que renforcer la sympathie du public pour le personnage - et donc l'acteur par la même occasion. Après tout, le lendemain de la nuit durant laquelle la pornstar Capri Anderson se retrouvait sanglotante enfermée dans la salle de bain de la chambre d’hôtel de Sheen, ces mêmes téléspectateurs se marraient avec lui d'une de ses blagues sur la sodomie.

La télé a cet avantage que le ciné n'a pas. Une série s'étire sur le long terme, s'installe dans les foyers. Les acteurs de cinéma deviennent des héros, des références, des modèles. Les acteurs de télé deviennent des amis, des parents, des frères et soeurs. Un héros peut décevoir. Un grand frère, non (ou presque). Et Charlie Sheen, avec ses coups d'un soir avec de stars du porno, est devenu ce grand frère déjanté dont on aime affectueusement raconter les histoires pendant les réunions de famille hebdomadaires. Mais quelque chose cloche : sous prétexte qu'il nous fait bien rire et qu'il nous divertit chaque semaine, on ne se pose pas beaucoup de questions. On se voile la face sur les vrais problèmes de ce grand frère, ce qu'il ressent vraiment. C'est vrai, après tout, il est riche et il s'amuse. Pourquoi s'inquiéter ?

Pourquoi s'inquiéter ? 1/ Parce qu'à 45 ans, on ne passe pas son temps à boire et à se droguer sans un profond malaise. 2/ Parce que Robert Downey Jr n'a jamais été aussi cool que sobre. 3/ Parce que Charlie Sheen est un acteur très cool assez peu sobre. 4/ Parce qu'une série, même avec du succès, n'est pas éternelle. 5/ Parce qu'il n'y a rien de pire que le chômage pour un acteur cool qui n'arrive pas à rester sobre plus de 24h.

Vite, Hollywood, donnez une série télé à Lindsay Lohan... Et un bon psy à Charlie. Avant qu'il ne soit trop tard...


7 commentaires:

  1. Oui enfin, l'influence positive d'un enfant complètement dumbass.

    RépondreSupprimer
  2. Cela prouve en tout cas que l'on pardonne beaucoup plus aux hommes qu'aux femmes à Hollywood. Meg Ryan galère, Russell Crowe s'éclate. Lohan n'a plus de boulot, Sheen peut compte sur son retour à la télé...

    RépondreSupprimer
  3. Tu as complètement raison. J'y ai pensé mais je me suis dit que ca ferait peut-être l'objet d'un nouveau post tant le thème est vaste...

    RépondreSupprimer
  4. Oui je pense comme godsavemy que cela montre surtout un large caractère machiste généralisé de l'industrie Hollywoodienne qui ne pardonnerait jamais au grand jamais un comportement Sheenesque à une actrice, quel que soit le rôle, quelle que soit la série, quelle que soit sa popularité.

    RépondreSupprimer
  5. P'tain je me doutais pas qu'il avait fait tant de bêtises le Charlie oO

    Tout ce qu'il fait (ou presque), j'aimerais le faire. Mais j'ai pas assez de couille, d'argent, de temps et de manque de considération pour ma santé pour agir comme lui ^^

    RépondreSupprimer
  6. Charlie Sheen a été renvoyé du tournage donc une bonne partie de l'article devient.. bizarre?

    RépondreSupprimer
  7. C'est clair ! Totalement bizarre effectivement. Mais c'est le cas de beaucoup de mes billets, vus à posteriori. La pop culture évolue très vite. Mais au moment où je l'ai écrit, je pense qu'il était valable et que Charlie Sheen représentait un cas "à part". D'ailleurs, il reste toujours un cas "à part", comte tenu du traitement médiatique qu'il se voit accorder actuellement.

    RépondreSupprimer